La pratique laïque

LA PRATIQUE LAÏQUE

LES 3 REFUGES

LES PRÉCEPTES

LES 3 PILIERS DE LA PRATIQUE

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La vie monastique n’est pas la seule voie offerte à celui qui désire s’engager dans la pratique bouddhique. Dans certains milieux il court l’étrange idée que le bouddhisme, en particulier l’école Theravāda, existe uniquement pour les moines. Rien ne peut être plus éloigné de la vérité. Il y a en réalité quelque chose à accomplir pour tout le monde, moine ou laïc. ( C’est pour cela que l’on peut parler d’une pratique laïque )
S’il est exact que de nombreux sermons du Bouddha soient adressés aux moines cela n’en interdit pas l’usage aux laïcs et la part d’enseignement bouddhique que chacun applique à sa vie, bien que dépendant dans une certaine mesure de l’environnement (métier, famille, etc. ) dans le cas du laïc, dépend plus largement de sa propre détermination et énergie. Le moine se trouve dans un ensemble de conditions plus propices à l’application de l’Enseignement du Bouddha puisqu’il est censé avoir moins de distractions que le laïc. Mais même parmi les moines l’habileté et l’intérêt varient naturellement, tout particulièrement lorsqu’ils sont aussi nombreux qu’en Thaïlande.

On devient pratiquant laïc (upāsaka et upāsikā) littéralement « celui (celle) qui s’assoit auprès de (l’enseignant) », après avoir pris les trois Refuges, utilisés en tant que points d’ancrage, de référence, témoignage de l’engagement dans la Voie bouddhique.
Cet engagement implique de prendre comme guides de la pratique laïque :
le Bouddha (en tant que représentation de la possibilité d’Eveil),
le Dhamma (en tant que représentation de la Vérité ultime, accessible à chacun par ses propres efforts),
le Saṅgha (en tant que représentation de la conduite parfaite) ;
et de ne pas accepter aveuglément les enseignements du Bouddha mais les vérifier à la lumière de l’expérience personnelle par l’analyse et la contemplation de la réalité quotidienne, et de s’engager à vivre selon les principes éthiques fondamentaux (sīla) conditions nécessaires à une pratique équilibrée.

LES 3 REFUGES (tisaraṇa)

Les Refuges représentent les points d’ancrage, de référence de tout bouddhiste. Ce sont des lieux sûrs dans un monde d’insécurité, des endroits élevés d’où l’on voit tout dans un monde qui rampe au ras du sol.

  • 1. buddhaṁ saraṇaṁ gacchāmi (Je prends refuge dans l’Eveil suprême).
  • 2. dhammaṁ saraṇaṁ gacchāmi (Je prends refuge dans l’Ordre des choses).
  • 3. saṅghaṁ saraṇaṁ gacchāmi (Je prends refuge dans la compagnie du Bien et du Beau).

dutiyampi buddhaṁ … (Une deuxième fois …)
dutiyampi dhammaṁ … (Une deuxième fois …)
dutiyampi saṅghaṁ … (Une deuxième fois …)
tatiyampi buddhaṁ … (Une troisième fois … )
tatiyampi dhammaṁ … (Une troisième fois … )
tatiyampi saṅghaṁ … (Une troisième fois …)

LES PRÉCEPTES

Ce sont des règles de conduite de base recommandées par le Bouddha à ses disciples. Ces Préceptes concernent les actions volontaires et consciemment acceptées et non celles qui se produisent par inadvertance.
Ce ne sont pas des interdits édictés par une autorité quelconque, humaine ou divine, mais des règles de conduite observées parce que l’on possède un minimum de sagesse, de « conception correcte » en général. Ils comprennent les cinq Préceptes (pañca sīla), observés quotidiennement, les huit Préceptes (aṭṭhaṅga sīla) observés par les laïcs en des occasions particulières, les « jours d’abstinence » (uposatha) par exemple, ainsi que par les « sans-foyer » (anagārika), et les dix Préceptes (dasa sīla), observés par les novices (sāmaṇera) et les nonnes (dasa sīla mata).

Les cinq Préceptes de base :

  1. pāṇātipātā veramaṇī sikkhāpadaṁ samādiyāmi
    Je m’efforcerai d’observer le précepte de m’abstenir de léser toute vie
  2. adinnādānā veramaṇī sikkhāpadaṁ samādiyāmi
    Je m’efforcerai d’observer le précepte de m’abstenir de m’approprier ce qui n’a pas été offert
  3. kāmesu micchācārā veramaṇī sikkhāpadaṁ samādiyāmi
    Je m’efforcerai d’observer le précepte de m’abstenir d’excès dans les plaisirs des sens
  4. musāvādā veramaṇī sikkhāpadaṁ samādiyāmi
    Je m’efforcerai d’observer le précepte de m’abstenir de paroles fausses ou inconsidérées
  5. surā meraya majja pamadāṭṭhānā veramaṇī sikkhāpadaṁ samādiyāmi
    Je m’efforcerai d’observer le précepte de m’abstenir de toute substance troublant la vigilance et la claire conscience

LES 3 PILIERS DE LA PRATIQUE

La totalité des enseignements du Bouddha peuvent se classer selon ces trois subdivisions : don, conduite éthique, développement mental (dāna, sīla, bhāvanā). Bien que souvent considérés comme trois niveaux successifs de pratique ce sont en fait des éléments interdépendants constituant les soutiens permanents de toute discipline bouddhique équilibrée. D’une certaine manière, plus didactique, il est vrai que le don et la conduite éthique font office de prérequis au développement mental (en tant que conduite prescrite, pakati sīla) ; ce sont également les fruits d’une culture de l’esprit bien dirigée (en tant que conduite naturelle, issue de la sagesse, paññatti sīla).

1) Le don (dāna)

La générosité, le don, exemplifient le tout premier aspect de la pratique bouddhique, celui qui est immédiatement perceptible dans les pays largement influencés par l’Enseignement du Bouddha. Ce terme est souvent employé pour désigner une offrande, spécialement de nourriture, à la Communauté monastique. Il en existe deux sortes :

  • āmisadāna, offrande matérielle
  • dhammadāna, offrande de l’Enseignement (considéré comme le plus grand de tous les dons dans le bouddhisme).

Dans l’Enseignement du Bouddha le don n’est pas une simple pratique extérieure, en soi vaine, mais une attitude intérieure (avant tout volition) destinée à briser la tendance naturelle à l’appropriation.

2) La discipline (sīla)

Préceptes d’éthique, code de conduite vertueuse. Ce qui met des limites aux exubérances, aux débordements de l’ego.
Pour les laïcs les Préceptes sont classifiés en :

  • pañca sīla : les cinq Préceptes, observance de base de tout bouddhiste laïc. Ils appartiennent à la vie de famille ordinaire et témoignent, avec les trois Refuges, de l’engagement dans la Voie bouddhique.
  • aṭṭhaṅga sīla : les huit Préceptes observés par les bouddhistes laïcs en des occasions particulières et par les anagārika.

Les huit Préceptes :

Ils impliquent un renoncement plus important que les cinq Préceptes de base. Dans ces derniers le numéro 3 devient abrahmacariyâ veramanî sikkhâpadam samâdiyâmi (je m’efforcerai d’observer la règle de m’abstenir de toute activité sexuelle), puis on ajoute :

6. vikālabhojanā veramaṇī sikkhāpadaṁ samādiyāmi
Je m’efforcerai d’observer la règle de m’abstenir de manger après le passage du soleil au zénith
7. naccagīta vâdita visuukadassanā mālāgandha vilepana dhāraṇa maṇdana vibhûsanaṭṭhānā veramaṇī sikkhāpadaṁ samādiyāmi
Je m’efforcerai d’observer la règle de m’abstenir de danser et de chanter, d’écouter ou de jouer de la musique, d’aller au spectacle, de mettre des parfums ou des ornements
8. uccāsayana mahāsayana veramaṇī sikkhāpadaṁ samādiyāmi
Je m’efforcerai d’observer la règle de m’abstenir de trop dormir (littéralement : « de couches hautes et imposantes », trop confortables ou luxueuses).

Les dix Préceptes :

Les dix Préceptes (dasa sīla) – fondements de la vie de renoncement, plus élaborée dans le Vinaya – observés par les novices (sāmaṇera) et les nonnes (dasa sīla mata). A partir des huit Préceptes, la règle 7 se scinde en deux (7 et 8), la 8 devient la 9 et on ajoute :

10. jâta rūpa rajata veramanî sikkhâpadam samâdiyâmi
Je m’efforcerai d’observer la règle de m’abstenir d’accepter de l’argent

Dans un sens plus large le terme sīla inclut toutes les actions corporelles ou verbales, qualifiées de positives ou négatives, suscitant plus ou moins de perturbations dans l’esprit.
En ce qui concerne les moines les règles de conduite sont bien entendu plus élaborées et s’appliquent à tous les aspects de la vie quotidienne jusque dans les moindres détails. L’esprit de ces règles ne diffère néanmoins pas de celui des préceptes liant tout bouddhiste laïc.

3) La culture mentale (bhāvanā)

Ce terme désigne d’abord l’action de faire naître, faire apparaître ce qui caché, non révélé. Il ne s’agit donc pas de construire à partir du néant mais simplement de permettre à des qualités mentales existant potentiellement dans l’esprit de se manifester.
On le traduit généralement par développement ou culture (de l’esprit). Il est utilisé de façon spécifique (par exemple mettā bhâvanā, le développement de la bienveillance), ou plus généralement comme signifiant la pratique, la discipline que la vie spirituelle implique. Le terme « méditation » bien que largement usité, demeure insatisfaisant, pour désigner le processus bouddhique de développement mental, de maturation dynamique de la connaissance transcendante en son propre esprit.

Le Visuddhi Magga, le « Sentier de la Purification » (ouvrage de Buddhaghosa, moine cinghalais du Ve siècle), répertorie les « techniques » classiques de méditation, kammaṭṭhāna, au nombre de quarante :

  • les dix « artifices » (kasiṇa) : terre, eau, feu, air, bleu, jaune, rouge, blanc, espace, conscience. Ils permettent l’acquisition de la stabilité de l’esprit (samādhi).
  • les dix considérations sur la non permanence du corps, sur le non attirant (asubha) : par la contemplation des divers états d’un cadavre cet exercice (peu praticable de nos jours !) combat les désirs sensuels.
  • les dix remémorations (anussati) : des qualités du Bouddha, des qualités du Dhamma, des qualités du Saṅgha, de la conduite éthique (en soi-même), du don (en soi-même), des déités (en référence à sa propre vertu), de la mort, du corps (en ses trente-deux constituants), de la respiration, du calme (en tant qu’attribut du nibbāna).
  • les quatre demeures sublimes (brahmavihāra) : amour bienveillant (mettā), compassion (karuṇā), sympathie pour la joie des autres (muditā), équanimité (upekkhā).
  • les quatre sphères immatérielles ou « demeures sans forme » (arūpāyatana) : l’espace illimité, la conscience illimitée, la sphère où rien n’est, la sphère où il n’est ni perception ni non-perception.
  • l’appréhension du caractère non attirant, non permanent de la nourriture (āhārepaṭikkūlasaññā)
  • l’analyse des quatre Eléments (catudhātuvavatthāna) : terre, eau, feu, air. Leur conjugaison constituant le corps, cette méditation permet de ne plus considérer le corps, et ensuite l’esprit, comme « mien » et « moi ».

Parmi toutes ces techniques, d’importance variable, et dont certaines ne sont à utiliser que dans des circonstances bien spécifiques et pour des types caractérologiques bien particuliers, la prépondérance est accordée à la vigilance portée à la respiration, ou remémoration appliquée au va-et-vient de la respiration (āṇāpāṇasati). C’est un outil consistant en un premier temps à rassembler l’esprit et apaiser les facteurs mentaux en portant l’attention sur l’inspiration et/ou l’expiration, ou sur la respiration en général.

Cet outil fait partie des bases de l’établissement de l’attention (satipaṭṭhāna), comprenant :

  1. l’observation du corps (kāyānupassanā)
  2. l’observation des sensations (vedanānupassanā)
  3. l’observation de l’esprit (cittānupassanā)
  4. l’observation des objets mentaux, des phénomènes (dhammānupassanā).

Satipaṭṭhāna tient une place de toute première importance dans la pratique. Le Satipaṭṭhāna Sutta déclare en effet :

Il n’y a qu’un seul sentier, ô bhikkhu, conduisant à la purification des êtres, à la conquête des douleurs et des peines, à la destruction des souffrances physiques et morales, à l’acquisition de la conduite droite, à la réalisation du nibbāna, ce sont les quatre sortes d’établissements de l’attention.

Les fruits de la pratique de satipaṭṭhāna sont deux qualités fondamentales de l’esprit : samatha (calme mental) et vipassanā (vision intérieure non obstruée de la nature réelle de tous les phénomènes), qualités pouvant conduire à l’obtention de niveaux affinés de purification mentale ou jhāna.

Les jhāna représentent des états de conscience raffinés susceptibles d’être expérimentés comme l’un des résultats de la méditation profonde. Ce sont des stades avancés d’unification mentale, samādhi, dans lesquels l’esprit devient absorbé dans le sujet de méditation.
Jhâna ne peut cependant pas être rendu vaguement par « méditation » ; c’est un terme technique désignant une expérience religieuse (non nécessairement liée à l’Enseignement du Bouddha) atteinte à un certain niveau d’états mentaux. Ces états sont de caractère purement mondain, par conséquent non indispensables à la libération de la souffrance.
Ils font référence à l’ »absorption de la sphère matérielle subtile » (rūpajjhāna), et sont divisés en quatre niveaux, chacun progressivement plus raffiné que le précédent :

  1. premier niveau d’absorption (paṭhama jhāna), caractérisé par : la considération et l’examen approfondi (vitakka vicāra), la joie (pīti), le bien-être (sukha), et l’unification mentale (samādhi).
  2. second niveau d’absorption (dutiya jhāna), caractérisé par : la joie (pīti), le bien-être (sukha), et l’équilibre mental (samādhi).
  3. troisième niveau d’absorption (tatiya jhāna), caractérisé par : le bien-être (sukha) et l’unification de l’esprit (samādhi).
  4. quatrième niveau d’absorption (catuttha jhāna), caractérisé par l’équanimité (upekkhā).

Le terme jhāna peut inclure également l’ »absorption de la sphère immatérielle » (arūpa jhāna) qui est une absorption méditative, de caractère impersonnel, dans un « objet » sans forme matérielle .

Les pratiques complémentaires

Les « quatre illimités » (brahmavihāra) constituent un complément indispensable pour une pratique équilibrée et évitent au pratiquant de sombrer dans une attitude égocentrique de profit spirituel. Dans un souci de cohérence entre la recherche de la sagesse et la pratique de la compassion, et d’harmonie entre développement intellectuel et émotionnel, tout bouddhiste est également invité à cultiver ce que l’on nomme les pāramī ou pāramitā:

Signifiant littéralement « allé au-delà », ces qualités ou vertus transcendantes, ou maîtrises, traditionnellement au nombre de dix, sont tout spécialement recommandées par le Bouddha pour ceux qui aspirent à l’Eveil :

  • don (dāna)
  • conduite éthique (sīla)
  • renoncement (à l’esclavage des plaisirs sensuels) (nekkhamma)
  • connaissance transcendante (paññā)
  • effort bien orienté, énergie (viriya)
  • patience, endurance (khanti)
  • véracité (sacca)
  • résolution (adhiṭṭhāna)
  • bienveillance (mettā)
  • équanimité (upekkhā)

Dans les Ecritures bouddhiques il est donné d’autres techniques, d’autres classifications. Il est important de noter la nécessité d’un maître éclairé, ou tout au moins d’un compagnon avancé, car il n’est pas sans danger de se lancer seul dans des méthodes choisies au hasard, certaines étant en outre liées à un contexte socioculturel bien particulier.

© M. H. Dufour, éditions de l’Harmattan

Une association bouddhique theravāda