Aṅgulimāla

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Aṅgulimāla : la réhabilitation d’un tueur

« Abandonner tout ce qui est malsain et négatif, cultiver ce qui est sain et positif, purifier son esprit, voici l’enseignement de tous les bouddhas. »
(Dhammapada, verset 183)

Si nous nous accordons la possibilité de changer et d’évoluer vers ce qui est positif dans notre vie de tous les jours, pourquoi en général refuse-t-on cette même possibilité aux délinquants ou aux criminels ? Sommes-nous suffisamment convaincu de la puissance de l’exemple et de la persuasion pour être capable d’offrir à tous, même à ceux qui sont a priori les plus « incurables », les conditions leur permettant d’accéder à ce changement personnel?

Depuis quelques années, dans le cadre de ce que l’on nomme actuellement le « bouddhisme engagé », des bouddhistes, moines ou laïcs issus des différentes traditions, sont très actifs dans les prisons, apportant le Dhamma aux prisonniers ainsi qu’au personnel carcéral. Ces interventions, tout particulièrement répandues dans les pays anglo-saxons, revêtent diverses formes : visites et soutien aux prisonniers, correspondance, cours de méditation, fourniture d’ouvrages bouddhiques, etc. Elles exemplifient parfaitement l’attitude sociale fondamentale de tout pratiquant bouddhiste cohérent, attitude fondée sur la sagesse et la compassion.
Cette activité et les méthodes utilisées remontent aux racines mêmes du bouddhisme et à la conversion du criminel Aṅgulimāla par le Bouddha, dont l’histoire inspire les pratiquants du Dhamma travaillant dans les prisons ainsi que les prisonniers.

L’histoire d’Aṅgulimāla, un « serial killer » de l’époque du Bouddha, illustre la possibilité de manifester la nature lumineuse de l’esprit et de développer les qualités de l’Éveil même dans les conditions les plus extrêmes. Les prisonniers recherchent une nouvelle identité, un nouveau moyen pour se connaître réellement. Généralement ils se méprisent et rejettent leur image, de la même façon que la société les méprise et les rejette. Le récit d’Aṅgulimāla, et les Enseignements bouddhiques en général, montrent qu’il est possible de transformer cette identité de façon positive et de choisir d’agir en fonction de cette nouvelle identité.
Dans l’Enseignement du Bouddha, en vertu de la loi de la non-permanence universelle (en particulier de ce que l’on nomme la « personnalité ») et du caractère complexe et insondable du fonctionnement de kamma-vipāka (les actions et leurs effets) on part en effet du principe qu’il est toujours possible de purifier son esprit et de développer des qualités positives grâce à l’effort personnel et à la pratique. Dans l’Enseignement bouddhique on considère qu’il existe plusieurs mondes d’existence, symbolisés dans la célèbre « Roue des existences », fréquemment représentée dans l’iconographie tibétaine. Ces six états d’existence sont avant tout des descriptions d’états mentaux expérimentés dans la vie en général, aucun de ces états n’étant permanent et se terminant lorsque l’énergie l’ayant suscité est épuisée. Dans chacun de ces domaines il est à remarquer qu’un aspect particulier du Bouddha (ou de l’Éveil) est représenté, traduisant ainsi les potentialités de transcendance (la « nature de Bouddha » en quelque sorte) présentes chez tous les hommes.

L’histoire d’Aṅgulimāla

Elle apparaît dans le Majjhima Nikāya, la collection des Moyens Discours, du Canon Pâli (6e Sutta du Rājā Vagga).
Aṅgulimāla était le fils d’un brahmane influent de la cour du roi Pasenadi de la province de Kosala et reçu à sa naissance le nom d’Ahimsaka (le non violent). Étudiant à l’université de Takkasilâ (Taxila) il devint l’élève préféré de son Maître. Jaloux de sa notoriété les autres élèves empoisonnèrent l’esprit du Maître contre lui; celui-ci trama un plan pour le conduire à sa perte, il lui demanda comme honoraires mille doigts humains. N’ayant aucune alternative Ahimsaka fut contraint, pour remplir cette demande, d’attirer dans une embuscade les voyageurs qui traversaient la forêt Jâlinî et les tuer, leur coupant un doigt à chacun. Il fut connu dès lors sous le nom d’Aṅgulimāla (le collier de doigts) car il portait ses trophées autour de son cou.

N’ayant plus qu’un seul doigt à trouver il vit un jour le Bouddha arriver dans sa direction et se prépara à le tuer. Mais une chose étrange se passa. Aṅgulimāla, malgré toute sa vigueur et sa vitesse ne parvint pas à rattraper le Bouddha qui continuait sa route sereinement et sans hâte. Épuisé et hors de lui, Aṅgulimāla cria au Bouddha de s’arrêter.
Le Bouddha répondit : « Je suis à l’arrêt, Aṅgulimāla, c’est à toi de d’arrêter. ».

Totalement dérouté Aṅgulimāla demanda au Bouddha ce que cela signifiait. Il lui répondit : « Je suis à l’arrêt, Aṅgulimāla, car j’ai abandonné l’usage de la violence envers tous les êtres; mais toi tu n’as aucun contrôle en ce qui concerne les êtres vivants. Par conséquent je suis à l’arrêt, mais toi tu ne l’es pas. » .
Entendant ceci, Aṅgulimāla jeta ses armes et se prosterna aux pieds du Bouddha, puis il lui demanda d’être accepté au sein de la communauté monastique.

Le roi lui-même, tout d’abord choqué de voir un ancien bandit faisant maintenant partie de la communauté monastique, fut étonné de la façon dont le Bouddha avait dompté sans violence Aṅgulimāla alors qu’il avait vainement essayé de le faire par les armes.
Aṅgulimāla parvint par la suite à l’état d’arahanta, de sage pleinement réalisé. Mais ceci ne l’empêcha pas d’essuyer des insultes, de recevoir des jets de pierres et d’immondices et d’être blessé, car les résultats de ses actions se manifestaient de cette manière.

L’histoire d’Aṅgulimāla nous offre plusieurs enseignements fondamentaux. Elle est remplie de symboles pertinents pour tous, mais tout particulièrement pour ceux qui ont commis des actes de violence. Il a été réhabilité, est devenu un membre à part entière de la communauté en contribuant à son bien-être. Le récit nous dit également de façon claire que nos actions produisent des conséquences. Un autre thème important, en fait le thème principal, est celui de la transformation spirituelle; Aṅgulimāla a pu réaliser que son nom Ahimsaka, qui lui fut donné à sa naissance, représentait en fait sa véritable nature, sa nature éveillée :

« « Non violent » est le nom que je porte,
moi qui fut incontrôlé dans le passé;
le nom que je porte est vrai aujourd’hui,
car j’ai abandonné toute violence. »

Aṅgulimāla Parittâ

yato’ham bhagini ariyâya jātiyâ jâto
nâbhijânâmi sañcicca pânam jîvitâ voropetâ
tena saccena sotthi te hotu sotthi gabbhassa

« Chère Sœur, depuis ma naissance dans le noble lignage (mon ordination monastique) je n’ai jamais intentionnellement détruit d’être vivant. Par cette vérité puissiez-vous demeurer en sécurité, puisse l’enfant que vous portez demeurer en sécurité. »

Ce parittâ, littéralement « protection », fait référence à un épisode de la vie d’Aṅgulimāla, et fait partie des Textes canoniques récités par les moines dans le but d’induire des conditions mentales bénéfiques. Celui-ci en particulier est traditionnellement psalmodié au chevet des femmes en couches, et illustre la puissance de que l’on appelle, dans le bouddhisme ancien, la « proclamation de la vérité », saccakiriyâ.

Pour approfondir le sujet :

  • The Engaged Zen Foundation, Post Office Box 700, Ramsey, New Jersey 07446-0700 (www.engaged-zen.org)
  • The Buddhist Prison Chaplaincy Organisation, The Forest Hermitage, Lower Fulbrook, Warwickshire CV35 8AS, United Kingdom (www.angulimala.org.uk)
  • Prison Dharma Network, PO Box 4623, Boulder CO 80306, U. S. A. (www.prisondharmanetwork.org)
  • Doing Time, Doing Vipassanā. Vidéo présentant l’expérience dans la prison de Tihar en Inde. Disponible à : Vipassana Livres, c/o Laurence Tissier, Résidence d’Hennemont, Bât. 10 C, 78100 St Germain en Laye (fax : 01 34 51 62 36)
  • How to Reform a Serial Killer : the Buddhist Approach to Restorative Justice, David R. Loy, Journal of Buddhist Ethics 7, 2000.

copyright M. H. Dufour, Les éditions des Trois Monts

Une association bouddhique theravāda