Kamma

Kamma fait partie de ces vocables que certains auteurs préfèrent ne pas traduire plutôt que d’en donner une traduction trop réductrice voire élaborer des néologismes. Étymologiquement le terme signifie « ce qui est fabriqué », et possède la même racine que (san)khâra, « composition, formation ». C’est l’action provenant d’impulsions habituelles, de volitions, d’énergies naturelles, conduisant à une réaction, l’action intentionnelle dans laquelle le résultat est inhérent. Il désigne donc toute action volontaire, consciemment acceptée et issue du corps, de la parole ou de la pensée, pouvant être bénéfique et conduire à l’extinction du mal-aise ou mal orientée et source de mal-aise.
Kamma et son fruit (vipāka) sont intimement liés et interdépendants, les fruits étant fonction de l’intention (cetanā). C’est en quelque sorte, selon la séquence cause => effet => réaction à l’effet, etc., la loi de la conservation de l’énergie appliquée au domaine éthique. En aucun cas kamma ne signifie destin, dette, punition ou toute acception déterministe diffusée par la théosophie ou autres philosophies ésotériques. Kammavipāka, la maturation de kamma, est par ailleurs classée par le Bouddha dans ce que l’on nomme les « inconcevables » (acinteyyāni) !

Kamma n’est pas la somme des actions des « vies précédentes » puisqu’il existe des actions dont les résultats ne se manifesteront que dans « d’autres vies » ou ne se manifesteront pas du tout. Kamma n’est donc pas un déterminisme absolu en raison de l’interférence de diverses actions et contre-actions et d’autre part en raison du fait que certaines actions ne produisent pas de résultats. Cette conception fausse selon laquelle tout est le résultat de kamma, soutenue par plusieurs ascètes contemporains du Bouddha, a été dénoncée, parmi beaucoup d’autres, dans le Brahmajāla Sutta (Sutta Piṭaka, Dīgha Nikāya, Sīlakkhandha Vagga, 1).

Kamma n’est que l’une des cinq lois naturelles dont les quatre autres sont : la loi atmosphérique (température, saisons, etc.) (utu niyāma), la loi biologique (bīja niyāma), la loi physique (dhamma niyāma), la loi psychologique (citta niyāma). Nous sommes conditionnés par l’hérédité, l’environnement physique, social et idéologique, le passé psychologique (comprenant l’héritage de kamma), mais aucun de ces facteurs, ni leur somme, n’est un déterminisme total car il reste un élément d’effort personnel volontaire. C’est en raison de cet élément que le nibbāna est possible et que, comme le déclare le Bouddha, « la vie » pure » peut être vécue. ». Cet élément constituant par excellence la Voie de libération proclamée par le Bouddha.

En ce sens, seul le kamma est à notre portée car nous pouvons le modeler, dans une certaine mesure, en fonction de nos actes volontaires et conscients. Quant aux autres lois, nous y sommes soumis en raison de notre environnement, et elles suivront leur cours naturel que nous les acceptions ou non. Nos réactions et nos actions par rapport à ces lois sont elles-mêmes soumises à la loi de kamma-vipāka et porteront leurs fruits selon.

Les classifications suivantes démontrent la complexité du concept de kamma et font un sort à toutes les interprétations hâtives autant que naïves que nous entendons le plus souvent.

Classification selon les « portes » d’action :

  1. kāyakamma, action physique
  2. vacīkamma, action verbale
  3. manokamma, action mentale (pensée).

Classification selon les résultats :

  1. kusala kamma, action positive
  2. avyākata kamma, action neutre
  3. akusala kamma, action négative.

Kamma est également divisé en différentes catégories :
selon la fonction :

  1. janaka, reproductif
  2. upatthambhaka, renforceur
  3. upapīḷaka, obstructeur
  4. upaghātaka ou upacchedaka, « tueur », destructeur

selon l’intensité :

  1. garuka, pesant
  2. āciṇṇaka ou bahula, habituel
  3. āsanna ou maraṇāsanna, proche (de la mort)
  4. katattā, mécanique.

selon la durée, le temps :

  1. diṭṭhadhammavedanīya, efficace dans le présent
  2. uppajjavedanīya, efficace dans le futur proche
  3. aparāpariyavedanīya, efficace jusqu’au futur lointain
  4. ahosi, sans effets, annihilé.

Kamma peut être synonyme de kammanta, parfois de saṅkhārā dans la chaîne des « origines interdépendantes » (paṭiccasamuppāda). Il est pratiquement synonyme d’abhisaṅkārā (les « grands créateurs » : les activités volitionnelles, les « accumulations »).

Même si l’on ne peut pénétrer totalement les arcanes de kamma il est essentiel de retenir qu’il possède en fait une profonde portée pédagogique ou thérapeutique, au sens large. Il va directement à l’encontre d’une des nombreuses théories philosophiques en vigueur à l’époque du Bouddha, la doctrine de l’inaction (akiriya vāda) théorie pernicieuse enseignant l’inefficacité morale des actions et impliquant une négation de kamma, ce qui laisse l’homme sans motivation pour l’accomplissement de toutes actions éthiquement bénéfiques (pour soi-même et autrui).

Notes

Acinteyyāni

  1. buddhavisaya, la sphère [49] d’un bouddha
  2. jhānavisaya, la sphère des « absorptions », jhāna
  3. kammavipāka, la maturation de kamma
  4. lokacintā, spéculations à propos du monde et de ses origines.

Sphère

Champ d’application, domaine d’action, domaine de connaissance.
Domaine, espace, dans lequel fonctionne une faculté, un sens.

copyright M. H. Dufour, Les éditions des Trois Monts

Une association bouddhique theravāda