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Le Theravāda – « l’enseignement des Anciens » – est une forme de bouddhisme qui, de prime abord, semble aisé à définir. On peut le reconnaître à son iconographie, sa culture et ses enseignements. Ainsi, un bhikkhu en robe safran est un theravādin et un bouddhiste du Sri Lanka [l’ancienne Ceylan], de Birmanie, de Thaïlande, du Laos ou du Cambodge est un theravādin. Quant aux enseignements : les Quatre Noble Vérités ; l’Octuple Sentier ; morale, méditation et sagesse ; l’Abhidhamma – c’est le Theravāda. Ses textes sont en pāli, un langage formé par un ensemble de dialectes du Nord de l’Inde suivant les recommandations du Buddha d’ « enseigner dans une langue vernaculaire » . Et pourtant le Theravāda est également divers. La plupart de ses adeptes ne sont pas des bhikkhu-s et certains ne sont pas persuadés de la validité de la tradition ou de tous les enseignements – « Y a-t-il quelque chose comme la renaissance ? ». Même au sein de son saṅgha, il existe une variété de normes de formation, de points de vue et de pratiques divergents. La diversification vient aussi du fait que les enseignements du Theravāda ont circulé dans des pays aussi distinctement différents que la Nouvelle-Zélande, le Népal, l’Ouganda et l’Italie, sans mentionner l’Amérique du Nord et du Sud – et ces cultures, par leurs préoccupations et leurs comportements, influent tout naturellement la façon dont le Theravāda se présente. Il existe une large base commune mais, en ce qui concerne le Theravāda comme enseignement original du Buddha, eh bien ! ce n’est pas tout à fait exact non plus. La classification la plus pratique est que « Theravāda » se réfère à un ensemble de lignées qui se sont développées dans des cultures centrées géographiquement autour du golfe du Bengale et à des enseignements dont la référence est le Canon pāli. Son fondement est plus une tradition qu’une histoire – la différence étant que, dans une tradition, quelques éléments sont historiques et d’autres mythiques ; c’est la signification qui importe. L’histoire prétend établir des faits du passé, mais une tradition a pour but de valider son système présent en se référant à un âge révolu. La plus grande partie de l’« histoire » bouddhiste d’avant l’ère chrétienne est en fait une affaire de tradition – ou de traditions différentes suivant des chroniques différentes. Ce que les textes dont nous disposons aujourd’hui montrent, c’est que le mot « Theravāda » n’apparaît pas avant le IVe s. après J.-C., quand il est utilisé dans le Dīpavaṃsa cinghalais pour définir la lignée bouddhiste nationale. De plus, au milieu du VIIe s., le pèlerin chinois Xuanzang a noté non pas une mais deux lignées cinghalaises : les Theravādins « Mahāyāna » du monastère Abhāyagiri et les Theravādins « Hīnayāna » du monastère Mahāvihāra. Il semble donc que le terme « Theravāda » ait été un titre honorifique accordé occasionnellement aux Anciens, quelle que soit leur lignée. A l’origine, ce n’était pas un contrepoids au Mahāyāna, bien qu’il fût ensuite défini et se soit lui-même défini comme tel. En fait le terme « Mahāyāna » est apparu autour du Ier s., longtemps avant que le terme « Theravāda » ne soit appliqué à une « école » du bouddhisme. L’universitaire allemand Hermann Oldenberg se référa au « Theravāda » pour décrire les textes du Vinaya pāli qu’il traduisait (et publia en 1879) mais ce n’est qu’au tout début du XXe s. que le terme « Theravāda » fut employé (par un bhikkhu anglais, le Vénérable Ananda Metteyya) pour décrire les bouddhismes de Ceylan, de Birmanie et d’Asie du Sud-Est. Et, même alors, le terme n’était pas utilisé officiellement dans ces pays d’Asie jusqu’à la réunion de « l’Organisation mondiale des bouddhistes » (World Fellowship of Buddhists – WFB), en 1950, à Colombo. Le terme « Theravāda » pose donc problème. Cependant il existe une lignée de transmission des textes et le saṅgha, bien que divers, s’est progressivement précisé et renforcé au fil des siècles jusqu’à présenter une cohérence suffisante pour apparaître comme une association étroite de lignées et de doctrines pouvant être désignée comme une « école ». Assumant cette cohérence relative et en développement, j’utilise le terme « Theravāda » de façon anachronique pour décrire le processus. La formation – un bref aperçu Toutes les traditions font référence à une période après le décès du Buddha (sans doute vers 400-410 avant J.-C., mais c’est sujet à discussion) quand ses enseignements ont été recueillis et rassemblés. On dit que cela a été initié par un « Premier Concile » de disciples arahant – et il est certain que quelque chose de cette nature a dû avoir lieu, mais peut-être y a-t-il eu une série de rencontres pendant lesquelles les éléments ont été organisés en « sutta-s » mémorisés oralement. A cette époque, l’histoire du saṅgha et de ses règles disciplinaires fut rassemblée comme « Vinaya ». Cette façon de procéder se poursuivit pendant environ 80-100 ans jusqu’à un « Second Concile » provoqué par une dispute au sujet de problèmes de discipline. Le Second Concile se termina par la résolution de ces problèmes, mais quelque temps après et avant le règne d’Aśoka (269 ?/267 ? – 232 av. J.-C.), des divergences se produisirent à nouveau, certaines à propos du Vinaya et d’autres à propos des façons d’aborder le Dhamma. Un groupe, le Mahāsaṁghika (« Grande Assemblée ») était intéressé par la nature du Buddha et comment il différait d’un arahant et comment certains pratiquants pourraient s’engager à différer leur propre éveil afin d’atteindre l’état de Buddha avec ses incomparables bénédictions pour tous les êtres. Les Mahāsaṁghikas trouvaient également que le groupe dont ils s’écartaient, les Sthaviravādins (« Enseignement des Anciens ») introduisaient dans le Vinaya des règles nouvelles et plus strictes que celles qui avaient été énoncées à l’origine. De leur côté, les Sthaviravādins considéraient que les Mahāsaṁghikas se relâchaient, et qu’ils faisaient du Buddha une sorte de Soi transcendant en le rendant absolu et donc en le déifiant. Pour leur part, ce qui les intéressaient n’était pas d’analyser le Buddha mais son Dhamma et pour y parvenir de développer l’ « Abhidhamma / Abhidharma ». Ainsi, ils espéraient couper court à toute vue de soi, personnelle ou transcendante, en présentant l’expérience sous l’aspect de « phénomènes » (dhamma-s). On pourrait supposer que les Sthaviravādins étaient les Theravādins mais ce n’est pas tout à fait exact, bien qu’ils soient leurs précurseurs. En fait, les Sthaviravādins eux-mêmes se séparèrent en écoles divergentes, dont la plus importante fut celle des Sarvāstivādins ; il y eut aussi un groupe appelé Vibhajjavāda. Vibhajjavāda signifie « Celui qui établit des distinctions » – la caractéristique de ce groupe étant l’analyse des dhamma-s et les relations de dépendance par lesquels les phénomènes mentaux ou physiques, habiles ou non habiles, se produisent. La ligne de séparation entre eux et les Sarvastivādins était que les Vibhajjavādins établissaient une distinction entre les dhamma-s du passé, du futur et du présent. Les Sarvastivādins soutenaient que les trois avaient une existence atomique finie ou « nature propre », tandis que les Vibhajjavādins soutenaient que les dhamma-s n’avaient pas d’existence substantielle mais n’étaient que des points de référence de la façon dont les facteurs mentaux apparaissent ensemble et influent les uns sur les autres dans le présent. C’est un point que Nagārjuna (qui a été plus tard désigné comme un « mahāyāniste ») a abondamment soutenu quatre cents ans plus tard : que la Voie du Milieu était (pour utiliser son mot) « vide » de toute essence permanente. La réfutation que fait Nagārjuna de la solidité des dhamma-s est la plus connue, mais cet argument (obscur pour les non-initiés) avait déjà été présenté pendant la période d’Aśoka par les Vibhajjavādins. Des débats sur cet argument avec le propre maître de l’empereur, Moggaliputta Tissa , soutenant ce point de vue, avaient semble-t-il abouti à une séparation, aux environs de 250 av. J.-C., ayant pour résultat le départ des Sarvastivādins au Gandhara (approximativement la région du Nord-Ouest de l’Inde et le Pakistan). Donc le premier signe distinctif de ce qui devint le Theravāda fut un Abhidhamma dans lequel la thèse de Moggalliputta sur les controverses du moment (Kathāvatthu) occupe une place déterminante. Cet Abhidhamma et de nombreuses autres œuvres (comprenant les légendes des vies antérieures du Buddha – les Jātaka), furent compilées en pāli et devinrent une partie de ce qui est aujourd’hui le Canon du Theravāda. Ces textes, composés après l’époque du Buddha, sont maintenant reconnus comme faisant partie de la transmission du Theravāda. Une autre différence entre ce que nous appelons maintenant « écoles bouddhistes » apparut à propos des Apadāna-s (Avadāna-s, en sanskrit) – fables qui décrivent les résultats des actions méritoires. Ceux qui étaient intéressés par la façon de devenir un buddha développèrent une théorie : il fallait accumuler des mérites, en faisant le bien ou en faisant des vœux, en présence d’un « champ de mérite » tel qu’un ancien buddha ou un stūpa. Offrir de tels mérites, physiquement ou mentalement, à de tels champs de mérites, représentait un saut qualitatif qui placerait sur le chemin de la bouddhéité. Et, donc, des penseurs bouddhistes proposèrent une carte en trois temps – śravaka-yāna (disciple ayant pour but la qualité d’arahant), pratyekabuddha-yāna (éveil solitaire) et bodhisattva-yāna (voie de la bouddhéité). Pour les disciples de Moggalliputta, la voie de śravaka était plus logique : avec les enseignements comme radeau sûr vers le nibbāna, leur priorité était d’apprendre à le manœuvrer plutôt que de subir plusieurs vies à apprendre la construction du bateau. La qualité d’arahant, plutôt que la bouddhéité était leur principale préoccupation. Et bien que la séparation entre ceux pratiquant le chemin de l’arahant et ceux suivant la voie du bodhisattva ne fut jamais complète et cause de dissentions – il y a des « bodhisatta » pratiquants dans le Theravāda aujourd’hui encore – un aspect qui a plus tard été considéré comme une division entre le Mahāyāna et le Theravāda s’est développé autour du choix du Chemin. Peu à peu le Mahāyāna s’est formé comme un mouvement qui faisait du Chemin du bodhisattva une priorité et qui, aussi, incluait des enseignements mystiques et philosophiques nouveaux. Malheureusement, au début de l’ère chrétienne, ses disciples les plus polémiques ont commencé à cataloguer les non-Mahayānistes de « Petit Véhicule » (Hīnayāna), un terme péjoratif qui fut appliqué au Theravāda et provoqua des relations tendues. Cependant, autour du milieu du IIIe s. av. J.-C., et avant que cette surenchère ne se développe, le fils d’Aśoka, Mahinda, et sa fille, Saṅghamitta, avaient réussi à introduire le Dhamma-Vinaya à « Tambapanni », comme on appelait alors l’actuel Sri Lanka. Sri Lanka et Asie du Sud-Est – la matrice du Theravāda Ce saṅgha tambapanniya n’était pas encore le Theravāda comme nous le connaissons. Des deux principaux monastères, celui qui avait le plus d’influence, l’Abhayagiri , abritait quatre écoles de bouddhisme, y compris les Vibhajjavādins, mais se trouvait dans une situation de rivalité prolongée avec le Mahāvihāra. Toutefois, l’extinction presque totale de la transmission orale à cause des famines et des invasions Cholas, au IIe s. av. J.-C., déclencha la mission de finalisation d’une forme écrite cohérente du Dhamma du Buddha – qui avait été préservé de façon étonnante par une transmission orale pendant environ 500 ans. Ce projet d’écrire les textes sur des feuilles de ola, fut achevé vers 30 av. J.-C. Une transmission écrite permet une quantité d’enseignements plus grande que celle que les mémoires prodigieuses de bouddhistes appliqués pouvaient offrir. Donc, avec l’écriture, il y eut plus de textes. De cela, il résulta que le mouvement Mahāyāna fut précipité dans un flot créatif de sūtra-s, éléments nouveaux qui, tout en prétendant être les paroles du Buddha [buddha vacana], dénigraient ou rejetaient l’ancienne voie des « śravaka ». En conséquence, la nécessité de survivre dans un monde dominé par des envahisseurs Indiens, des polémiques mahayānistes et une résurgence brahmanique, devint la préoccupation cinghalaise principale et celle qui a donné au Theravāda son caractère conservateur et empirique. « Indien et Mahāyāna, c’est ce que nous ne sommes pas. Préserver l’enseignement originel du Buddha est notre premier devoir ». Cette mission conservatrice, et l’intention que tout aspect du Dhamma soit clair et autorisé, a généré une multitude de Commentaires (Aṭṭhakathā) et Sous-commentaires (Ṭikā) des Sutta-s, du Vinaya et de l’Abhidhamma. Cette littérature devait ensuite être éditée et vérifiée. La personne de toutes la plus importante à cet égard fut l’acariya Buddhaghosa, qui vint à Ceylan au Ve s. ap. J.-C. à l’invitation du Mahāvihāra. Son travail consistait à recueillir les Commentaires qui étaient préservés par le Mahāvihāra, à les traduire en pāli, et d’écrire un manuel de méditation – le Visuddhimagga – qui présentaient la sagesse transmise de cette tradition. Son œuvre est toujours considérée comme faisant autorité aujourd’hui. Donc, avec Buddhaghosa, une nouvelle pierre de la fondation du Theravāda était posée. Il faut dire cependant qu’avec le Visuddhimagga une séparation entre les approches méditatives de samatha et de vipassanā a été établie, contredisant les paroles du Buddha, ce qui crée encore de nos jours des incertitudes. Au temps de Buddhaghosa, les enseignements du Buddha étaient établis en Birmanie et dans une partie de la région qui devint la Thaïlande. Bien que les missions outre-mer envoyées par Aśoka soient peut-être légendaires, les connections avec l’Inde et Ceylan avaient transportées le Dhamma très loin. Et c’était aussi bien. Au XIe siècle, le roi Anawratha de Birmanie, lui- même theravādin, apporta son aide à Ceylan pour chasser (à nouveau) les Cholas et, alors que le saṅgha y était sur le point de disparaitre, il envoya des bhikkhu-s pour restaurer l’ordination Theravāda. Toutefois, il n’envoya pas de bhikkhunī-s et, par conséquent, la lignée des bhikkhunī-s n’a pas été rétablie à Ceylan et a disparu en Birmanie au moment de la destruction de Pagan par les Mongols, en 1287. Ces deux précédents – la coopération transnationale pour soutenir ou régénérer les saṅgha-s qui s’étaient effondrés et l’absence de bhikkhunī-s – sont également devenus caractéristiques du Theravāda. C’est seulement dans la deuxième partie du XXe siècle qu’un mouvement de renaissance des bhikkhunī-s est apparu dans le saṅgha du Sri Lanka ; la Thaïlande et la Birmanie, à ce jour, n’ont pas de saṅgha officiel de bhikkhunī-s. Dans cette période (du Ve au VIIIe siècles) des thèmes importants du Theravāda furent établis : pas de nouveaux enseignements et consolidation du saṅgha sous patronage royal. Du point de vue de la nation, le saṅgha Theravāda a agi comme un support spirituel à ce jour une fonction qui l’a parfois distrait de son but : le nibbāna. L’intégration sociale des monastères se manifestait aussi au niveau du village, le monastère servant d’orphelinat, d’école et de dépositaire du savoir local en matière de soins, un lieu de propitiation des esprits et des problèmes villageois, tout en étant un endroit d’enseignement du Dhamma. Les « monastères de forêt » étaient plus rares, mais ils apportaient un soutien pour une formation plus stricte de renonciation et de méditation. Les gens pouvaient séjourner au monastère pour marquer une coupure avec les problèmes domestiques : entrer dans le saṅgha de façon temporaire était aussi possible. Jusqu’à nos jours ce modèle persiste et les bhikkhu-s et bhikkhunī-s « temporaires » sont beaucoup plus nombreux que les bhikkhu-s « à vie ». Cette succession d’effondrements et de renaissances dans le saṅgha Theravāda a eu tendance à élaguer et consolider les lignées, le renouveau venant toujours d’un retour aux principes de « la forêt ». C’est ainsi, qu’au XIIe siècle, le saṅgha de Ceylan s’unifia autour des » moines de la forêt » de la fraternité du Mahāvihāra. Ce saṅgha fut alors invité en basse Birmanie et en Thaïlande au début du XIVe siècle et en Birmanie, à nouveau, au XVe siècle. Au XVIIIe siècle, le saṅgha de Ceylan disparut également et fut revivifié par une importation de Thaïlande, alors appelé « Siam ». C’est ainsi que la lignée la plus ancienne au Sri Lanka aujourd’hui est le Siyam-Nikāya. Theravāda – renaissance et Occident Le colonialisme européen, malgré ses effets négatifs, fit découvrir à l’Occident le sanskrit et le pāli et, à cet égard, facilita la dissémination du Dhamma. Avec la fondation de la Pali Text Society, en 1881, et l’intérêt porté par les Britanniques aux cultures de Ceylan et de Birmanie, les enseignements du Theravāda devinrent disponibles en Occident, avant le bouddhisme du Tibet, de la Chine ou du Japon. La colonisation, inconsciemment, stimula également une renaissance du Theravāda comme moyen de préservation de l’identité nationale. Par exemple, la Birmanie du Sud ayant été conquise par les Britanniques, le Roi Mindon décida de promouvoir le bouddhisme en favorisant ce qui était considéré comme les enseignements supérieurs du Dhamma du Theravāda : vipassanā. La lignée des « Mahasi » qui a sans doute été la source d’instruction de méditation Theravāda la plus populaire en Occident, vient directement de Thilon Sayadaw, le conseiller spirituel du Roi Mindon. Le Roi Mindon organisa un VIe Concile bouddhiste à Mandalay, en 1879. Sous la pression de la colonisation, qui amena avec elle les missions de christianiation, le bouddhisme aida à définir et à renforcer l’identité nationale en Birmanie et à Ceylan. Dans ce dernier pays, la renaissance du bouddhisme fut favorisée encore davantage par le colonel Olcott, un converti américain qui visita Ceylan en 1881 et inspira Anagarika Dhammapala pour fonder la Mahā Bodhi Society (1891), et initier la tâche herculéenne de ramener le Theravāda en Inde. C’est par ce précédent que le Theravāda acquit un idéal missionnaire certain (dhamma-dhuta). La Mahā Bodhi Society et la Buddhist Publication Society poursuivent toujours cette mission générale. La Thaïlande ne connut jamais directement un régime colonial mais ses rois, en particulier le roi Mongkut et son successeur, Chulalongkorn, étaient attentifs à la présence proche des Français et des Britanniques et cela les incita à transformer les régions associées du Siam en une seule nation-état centralisée, la Thaïlande. Mongkut avait été bhikkhu avant de devenir roi et, inquiet, de l’état du saṅgha thaï, avait personnellement initié un mouvement de réforme, le Dhammayut. Ce mouvement finit par devenir une branche séparée (ou nikāya) à l’intérieur du saṅgha thaï ; il bénéficia du patronage royal et, par son adhésion plus stricte au Vinaya, attira des pratiquants sincères. Plusieurs maîtres « de la forêt », notamment Ajahn Sao et Ajahn Mun, appartinrent à ce nikāya et leur influence sur le développement du saṅgha et le « monachisme de la forêt » en Thaïlande a été immense. Le programme de centralisation du gouvernement thaï s’est également étendu à une administration centralisée du saṅgha. Le saṅgha thaï installe maintenant à l’étranger des temples soutenus par le gouvernement pour, à la fois, soutenir l’enseignement du Buddha et les communautés thaïes hors de leur pays natal. Ce double rôle, joué par de nombreux monastères thaïs, peut avoir un effet troublant sur la propagation du Dhamma. Un temple thaï ou sri lankais en Occident peut offrir un mélange de méditation et d’étude des sutta-s dans un environnement qui est lié à des aspects de la culture de la mère patrie et, parfois, un Occidental est perdu entre ce qui relève du bouddhisme et ce qui relève d’une tradition asiatique. En ce qui concerne l’Occident, la majeure partie du Canon du Theravāda a été traduit en anglais et en allemand tout au long du XXe siècle et les institutions se sont multipliées à partir du Buddhistische Haus de Berlin, fondée en 1924, du London Buddhist Vihara (Sri Lanka), fondé en 1928, et ensuite de nombreux vihāra-s et centres de Dhamma, en Europe et en Amérique, aujourd’hui. Comme ses terres d’origine, sa littérature, et sa culture monastique prospère étaient d’accès facile, les Occidentaux commencèrent à prendre l’ordination dans l’Asie du Theravāda à la fin du XIXe siècle. Cette « lignée » commence avec l’irlandais U Dhammaloka, à la fin des années 1890, et avec deux britanniques, le Vénérable Asoka en 1900 et Ananda Metteyya en 1902. Les Allemands y allèrent également, conduits par le Vénérable Nyāṇatiloka (ou Ñāṇatiloka), en 1904, qui créa l’Island Hermitage (1911), tandis que son disciple le Vénérable Nyāṇaponika créa le Forest Hermitage (1946) et la Buddhist Publication Society, tout à Ceylan. Un autre pionnier italien, Lokanatha, entra dans le saṅgha en Birmanie, en 1925 ; il participa au renouveau bouddhiste dans la Birmanie d’après-guerre et encouragea le Dr Ambedkar à se convertir au bouddhisme – avec de grandes conséquences pour les « Intouchables » en Inde. Pendant ce temps, l’English Saṅgha Trust, établi en 1956 par Kapilavaddho bhikkhu, afin de donner aux hommes la possibilité d’entrer dans le saṅgha et de pratiquer en Occident, soutient toujours aujourd’hui un saṅgha occidental au Royaume Uni. Au début des années 70, il resta en sommeil par manque d’intérêt mais fut relancé avec l’appui d’Ajahn Sumedho, un Américain qui prit la robe en Thaïlande et pratiqua sous la direction d’Ajahn Chah, un « maître de la forêt » et un disciple d’Ajahn Mun. Basé à Londres, à l’origine en 1976, Ajahn Sumedho créa le premier « monastère de la forêt » en Angleterre, en 1979, à Chithurst, dans le West Sussex. Depuis, d’autres disciples d’Ajahn Chah, et également d’Ajahn Sumedho, guident maintenant des « monastères de la forêt » en Angleterre, aux Etats-Unis, au Canada, en France, en Allemagne, en Italie, en Suisse, au Portugal, en Australie et en Nouvelle Zélande. Pendant ce temps, un autre disciple d’Ajahn Chah, basé en Angleterre, l’Anglais Ajahn Khemadhammo, a créé une aumônerie, « Angulimala » afin d’apporter le Dhamma à ceux qui sont en prison. Toutes les écoles du bouddhisme sont largement représentées en Occident. Pour le Theravāda, il y a beaucoup d’enseignants laïcs qui utilisent les enseignements de la transmission pālie et certains, qui les ont appris avec des enseignants Theravāda, ne se définissent pourtant pas comme theravadīns. Ces groupes aux connections relâchées se concentrent en premier sur la méditation que l’on appelle la « tradition Vipassana ». Depuis les années 1970 ses enseignants laïcs – comme Joseph Goldstein, Jack Kornfield, Sharon Salzburg et Christina Feldman pour n’en nommer que quelques-uns – ont créé l’Insight Meditation Society et Spirit Rock (aux Etats-Unis) ainsi que Gaia House (en Grande Bretagne). Il existe de nombreux autres centres de par le monde pour apporter un soutien à l’intérêt grandissant pour la méditation. Le Theravāda aujourd’hui Le Theravāda aujourd’hui est le résultat de tout cela et de bien d’autres choses. Il y a des enthousiastes de l’Abhidhamma, des commentateurs des sutta-s, de la méditation intensive et même des formes tantriques. Les gens souvent prennent un ou deux morceaux de l’ensemble et se construisent une Voie à partir de cela. Ces institutions sont porteuses des strates de ses cultures variées – ou de l’approche psychologiquement plus nuancée de ses nombreux enseignants laïcs occidentaux. Sa présence monastique est l’une de ses offrandes à l’Occident – une suggestion que la moralité, le renoncement et le soutien à une culture de la générosité font partie de la Voie. Que l’individu moyen sache ou attache de l’importance au fait que les dhamma-s aient une substance ou soient vides, cela transmet un message essentiel : le bouddhisme ne consiste pas à adopter quelques idées ou même à s’asseoir en paix ; le Dhamma du Buddha est un mode de vie complet et engagé.