La méditation

LA MÉDITATION

LE MENTAL

QU’EST-CE  QUE MÉDITER ? 

AVERTISSEMENT

—————————————————–

Le délire est la croyance irréductible et inébranlable à une conception fausse de la réalité. »
(définition psychiatrique du délire)

Certains linguistes pensent avoir découvert la source du mot « thérapeute » dans le pāli « thera putta » (littéralement : le fils de l’Ancien), thera étant le nom donné aux moines bouddhistes de la tradition primitive connue sous le nom de Theravāda. Qu’ils aient tort ou raison importe peu en fait. Cette démarche étymologique semble traduire l’intuition fondamentale que l’enseignement bouddhique dispensé par les moines (thera) recèle la clé de notre santé totale et représente la « médecine » radicale dont nous avons tous besoin et que nous recherchons tous plus ou moins habilement dans notre course aux thérapies et théories chaque jour plus nombreuses et déroutantes par leurs néologismes et leur complexité.

La conception bouddhique de la santé et du traitement de la maladie a anticipé de plusieurs siècles la compréhension occidentale récente selon laquelle la plupart des troubles, bien que présentant des symptômes physiologiques, sont en réalité des désordres d’origine psychique. Pour un bouddhiste la seule véritable maladie consiste en l’incapacité à vivre correctement dans ce monde et à mettre son esprit en accord avec la réalité essentielle de l’existence. Le premier remède est donc l’acquisition de la sagesse qui peut surgir lorsque toutes les négativités issues de l’illusion sont résorbées.

LE MENTAL EST L’AVANT-COUREUR DE TOUTES LES CONDITIONS

La préoccupation fondamentale pour la santé a fait naître sur le « marché » toutes sortes de théories et de systèmes relatifs aux différents régimes alimentaires, à l’exercice du corps et à tout ce qui touche, même de loin, au bien-être physique. Un nouvel hédonisme est né. Parfois la santé mentale intervient, mais ce n’est alors que pour soutenir la santé physique. Possédant un corps il est bien sûr tout à fait raisonnable de s’en occuper, mais quelles que soient les méthodes mises en oeuvre, la vieillesse, le déclin et la mort sont sur nos talons. Or, le mental étant l’avant-coureur (le créateur en quelque sorte) de toutes les conditions expérimentées dans la vie, la santé de l’esprit est de première importance, et elle peut s’établir sans avoir recours à des pratiques inutilement complexes.
Il est vrai que les causes génératrices de nos tensions intérieures semblent être issues du monde extérieur. Ce sont : la nécessité d’assurer sa subsistance, les obligations familiales, les exigences de compétition et de prestige qui nous sont imposées. Mais les véritables causes résident en nous. Tout d’abord dans l’anxiété éprouvée lorsque ce qui possède de la valeur à nos yeux est menacé, ensuite dans le ressentiment nourri à l’encontre de ceux qui menacent ces valeurs et notre importance personnelle et enfin dans le besoin constant de s’affirmer.
Toutes les souffrances mentales proviennent de ce désir centré sur le moi, de l’aversion et de l’illusion. En tant que facteur produisant les tensions le désir s’exprime comme anxiété, l’aversion comme ressentiment et l’illusion comme affirmation de soi.

Le développement mental est une culture de l’esprit pour sa connaissance profonde. L’esprit est le point de départ, le point focal, et aussi, en tant qu’esprit libéré, le point culminant : « L’esprit précède les choses, les domine, les crée. ». C’est un entraînement graduel, évitant les extrêmes, et invitant non pas à suivre aveuglément une suite de propositions dogmatiques, mais à « voir », à constater, à comprendre par expérience personnelle afin d’agir armé d’une sagesse toujours plus profonde et aiguisée. Cette sagesse est la vision directe dans la véritable nature de tout ce qui existe : non permanence, insatisfaction et vide de réelle substance. Seule cette sagesse permet d’aller jusqu’au bout dans l’implication de ces trois caractéristiques. Elle conduit au détachement et au renoncement à toute idée de « moi » et permet de déraciner les causes de toutes souffrances : haine, convoitise et illusion.

Dans ce processus de développement mental une part essentielle est accordée à l’établissement de la vigilance (satipaṭṭhāna), au sein de laquelle « l’attention au va-et-vient du souffle » (āṇāpāṇasati) occupe une place privilégiée. C’est à la fois l’outil le plus simple et le plus profond dans toute la panoplie des disciplines somato-psychiques. Il n’a malheureusement pas la place qui lui revient car il n’est pas spectaculaire et n’attire pas l’homme moderne plus avide de sensations, d’émotions ou d’enseignements « ésotériques ».
Travailler à ce niveau implique des efforts sur le plan éthique afin de ne pas être perturbé pendant la pratique et ne pas investir l’énergie dans des voies antagonistes.

QU’EST CE QUE MÉDITER ?

Le terme « méditation » est actuellement employé de façon inconsidérée. La méditation n’est pas une réflexion intellectuelle sur un sujet, c’est un outil de « culture mentale » permettant la naissance du calme de l’esprit puis de la compréhension directe et profonde de la réalité au-delà des apparences.
Ce n’est ni une rêverie ni une manière de garder l’esprit vide. C’est au contraire un combat actif, elle n’est pas séparée de la vie et ne constitue pas une retraite en un monde irréel. Elle est ce qui permet d’aller au coeur des choses mêmes à chaque instant de l’existence. La contemplation permanente et détachée des sensations corporelles et des états d’esprit conduit progressivement à une acuité considérable de l’attention et de la vision mentale suscitant le calme mental (samatha) et la vision directe et pénétrante (vipassanā), les deux facteurs inséparables caractérisant l’esprit libéré.
D’un point de vue bouddhique la méditation n’a pas pour but de créer la relaxation ou toute autre condition agréable. Elle est destinée à être provocatrice. On s’assoie et on laisse les choses surgir. Aussi la méditation bouddhique n’est-elle pas une sorte de gymnastique mentale qui tend vers un état de relaxation. C’est une attitude tout à fait différente car il n’existe aucun but ni objet particulier, pas d’exigence immédiate d’atteindre ou d’obtenir quoi que ce soit. C’est plutôt une question de demeurer ouvert, réceptif.

Le bouddhisme, à l’inverse des systèmes hindous, est entièrement et exclusivement dirigé vers la purification mentale et la libération. Le Bouddha n’a pas enseigné la culture mentale (bhāvanā) dans le but d’obtenir des pouvoirs supranaturels, la capacité d’accomplir des exploits physiques ou de maîtriser le monde extérieur. Il n’enseignait que dans un but unique, l’extinction de la souffrance, au sens le plus large, et la libération de l’existence conditionnée. C’est là que se rencontre la différence fondamentale entre les techniques bouddhiques d’unification de l’esprit et celles couramment associées aux yogas hindous. Ces derniers, en particulier les haṭha et rāja yoga, sont concernés par des résultats qui, du point de vue bouddhique, sont négligeables. Etant d’ordre mondain (lokiya ou « samsarique ») ils ne conduisent pas à la libération finale de cette souffrance inséparable de l’existence conditionnée. Au contraire ils augmentent le lien et ajoutent du combustible au feux du désir, de la saisie.

Le mot méditation est un équivalent maladroit du terme bhāvanā signifiant littéralement « faire naître », « faire apparaître », « développer » ou « cultiver », c’est à dire développer, cultiver l’esprit. C’est transcender tous les facteurs mentaux malsains (au sens propre = nuisibles à la santé), développer tous les facteurs sains et profitables, afin de parvenir à un esprit calme, rassemblé, qui perçoit la véritable nature de tous les phénomènes et expérimente la suprême délivrance de tous liens, le nibbāna.
La méditation ne porte ses fruits que si les raisons pour en entreprendre la pratique sont correctes. La méditation enseignée dans le bouddhisme n’a pas pour but l’union à un quelconque être suprême, ni la manifestation d’expériences mystiques, ni l’autohypnose. Elle apporte le calme et la vision intérieure dans le seul but d’atteindre à la délivrance de l’esprit, à la libération de tous liens par la destruction des illusions créées et nourries par le mental.
La méditation doit également aller de pair avec d’autres pratiques telles que la générosité, la douceur, la non-violence, la patience, le contentement et l’humilité. Si ces qualités ne sont pas présentes au départ ou si elles ne se développent pas au cours de la pratique, alors quelque chose ne va pas. La pratique de l’unicité de l’esprit doit s’appuyer sur des bases fermes d’éthique (sīla) et ne peut réussir si l’on ne fait aucun effort réel pour être strict dans les Préceptes.

De nombreux obstacles existent et il est nécessaire d’en être conscient dès leur apparition. Il sera alors possible de les surmonter par ce qu’on nomme les facultés de contrôle (indriya) :

  • Les entraves : désir des plaisirs des sens, mauvais vouloir, indolence et torpeur, agitation et anxiété, doute sceptique et indécision
  • Les facultés de contrôle : confiance, énergie, attention, absorption mentale, sagesse

D’autres obstacles sont généralement constitués par les huit conditions mondaines (lokadhammā). Celles que l’on désire posséder : gain, gloire, honneur, bonheur, et celles que l’on veut éviter : perte, échec, blâme, malheur. Ces huit facteurs sont fondés sur l’ignorance et fournissent le motif à la conduite non éthique et à des actions conduisant à de futures souffrances.

AVERTISSEMENT

Un nombre incalculable d’ouvrages, de qualité très inégale, ont été publiés sur le sujet de la méditation bouddhique. Mais bien qu’il ne viendrait à l’idée de personne d’apprendre à nager en lisant un livre sur la natation, beaucoup, recherchant avant tout des recettes plus qu’une véritable discipline, pensent pouvoir « apprendre » la méditation en lisant des livres.

Une conception actuellement à la mode dans certains ouvrages populaires est celle de la « facilité » de la méditation. On semble ici confondre « simplicité » et « facilité ». La véritable méditation est sans aucun doute simple, non sophistiquée, mais c’est une pratique exigeante, semée d’embûches et de difficultés, impliquant une discipline et une motivation authentiques.
Un ouvrage, même de qualité exceptionnelle, ne saurait se suffire à lui-même et remplacer la pratique, individuelle et en groupe, auprès d’un maître ou d’instructeurs compétents. Dans la Voie du Bouddha-Dhamma la théorie n’est jamais une fin en soi et doit toujours être éclairée par l’expérimentation personnelle.
 © M. H. Dufour, éditions de l’Harmattan

Une association bouddhique theravāda