Souvenirs d’Ajahn Chah –
par Jack Kornfield
Le Vénérable Ajahn Chah, est né le 7 juin 1918 dans un petit village près d’Ubon Rajathani, au Nord-Est de la Thaïlande. Après sa scolarité primaire il passa trois ans comme novice avant de retourner à la vie laïque pour aider ses parents à la ferme. A vingt ans il décida de reprendre la vie monastique et le 26 avril 1939 reçut l’ordination monastique supérieure, upasampadā. Sa vie monastique au début a suivi le cursus traditionnel : étude des Enseignements bouddhiques et de la langue pāli. Au cours de sa cinquième année monastique son père tomba gravement malade et mourut, brusque rappel de la précarité de l’existence humaine. Ceci le fit profondément réfléchir au but réel de la vie, car bien qu’il eût étudié abondamment et acquis la maîtrise du pāli il ne s’en trouvait pas moins éloigné de la compréhension personnelle de la cessation de la souffrance.
Un sentiment d’insatisfaction s’installa, il abandonna ses études en 1946 et partit en pèlerinage comme moine errant. Il gagna à pied le centre de la Thaïlande, dormant dans les forêts et collectant sa nourriture dans les villages sur son chemin, et s’installa dans un monastère où le vinaya était soigneusement étudié et pratiqué. C’est à cette époque qu’on lui parla d’Ajahn Mun Buridatto, un Maître de méditation hautement respecté. Désireux de rencontrer un tel Maître accompli, Ajahn Chah se mit en route à pied pour le Nord -Est de la Thaïlande afin de le rencontrer.
A cette époque Ajahn Chah se débattait avec un problème crucial. Il avait étudié les Enseignements concernant l’éthique, la méditation et la sagesse, que les textes traditionnels présentaient de façon détaillée et raffinée, mais il ne voyait pas comment les mettre en pratique. Ajahn Mun lui déclara que, malgré le caractère extensif des Enseignements, leur essence était très simple. Avec l’établissement de l’attention il est possible de voir que tout est issu de ce que les Maîtres de Forêt nomment « mental-coeur » ; c’est là-même que se trouve le véritable chemin de la pratique. Cet enseignement succinct et direct fut une révélation pour lui et transforma son approche de la pratique. La Voie était désormais claire.
Pendant les sept années suivantes Ajahn Chah pratiqua selon le style de l’austère Tradition de forêt : vêtu de robes confectionnées dans des tissus rejetés et n’en possédant que trois, ne se nourrissant que de ce qui est offert, visitant sans omission toutes les maisons même celles des plus pauvres, ne mangeant qu’une seule fois par jour, mélangeant dans le bol toute la nourriture offerte, vivant sous un arbre sans l’abri d’un toit, selon les trois postures (marche, debout, assis), sans jamais s’allonger ; telles étaient quelques-unes des règles qu’il s’imposa, se déplaçant à travers la campagne à la recherche d’endroits isolés et calmes, propices au développement de la méditation. Il vécut dans la jungle en des lieux infestés de tigres et de cobras, utilisant les réflexions sur la mort pour pénétrer le sens réel de la vie. À une occasion il pratiqua dans un champ de crémation pour défier et en définitive vaincre sa peur de la mort.
À ce moment, transi et transpercé par la pluie de mousson, il vit en face la profonde détresse et la solitude du moine errant.
En 1954, après des années d’errance, il fut invité à revenir dans son village natal. Il s’installa dans les environs, au cour d’une forêt nommée Pah Pong, infestée de malaria et, d’après le villageois, hantée. Malgré les épreuves dues à la fièvre, l’abri précaire et la nourriture frugale, les disciples venaient le rejoindre en nombre croissant. Le monastère connu actuellement sous le nom de Vat Pah Pong débuta ainsi et petit ) à petit d’autres branches furent établies.
En 1967, un moine américain vint résider à Vat Pah Pong. Le Vénérable Sumedho, nouvellement ordonné, venait juste de passer sa première vassa (retraite de la saison des pluies) pratiquant intensément la méditation dans un monastère près de la frontière laotienne. Bien que ses efforts aient porté quelques fruits, le Vénérable Sumedho comprit qu’il avait besoin d’un Maître pouvant lui enseigner tous les aspects de la vie monastique. Or il advint qu’un des moines d’Ajahn Chah, qui parlait un peu l’anglais, visita le monastère où résidait le Vénérable Sumedho. En entendant parler d’Ajahn Chah il demanda de quitter son précepteur et accompagna le moine de retour à Vat Pah Pong.
Ajahn Chah accepta sans réserves le nouveau disciple mais insista sur le fait qu’il ne recevrait aucun traitement de faveur en raison de sa qualité d’Occidental. Il devrait manger la même nourriture simple et pratiquer de la même manière que tout autre moine de Vat Pah Pong.
La formation était rude et rébarbative. Ajahn Chah poussait souvent les moines jusqu’à leurs limites, pour tester leur endurance afin qu’ils soient en mesure de développer la patience et la détermination. Parfois il mettait en place des projets de travaux de longue durée, apparemment sans objet, pour frustrer leur attachement à la tranquillité. Constamment, il insistait sur la nécessité de s’abandonner à la nature des choses telles qu’elles sont et l’accent était mis sur une stricte observance du Vinaya.
Au fur et à mesure d’autres Occidentaux vinrent à Vat Pah Pong. A cette époque le Vénérable Sumedho était un bhikkhu de cinq « vassa » (cinq années d’ordination) et Ajahn Chah le considérait apte à enseigner, certains des nouveaux moines ayant également décidé de demeurer là pour leur formation.
Pendant la saison chaude de 1975, le Vénérable Sumedho et un groupe de bhikkhu passèrent quelques temps dans la forêt non loin de Vat Pah Pong. Les villageois du lieu leur demandèrent de rester et Ajahn Chah donna son accord. C’est ainsi que Vat Pah Nanachat (le monastère international de forêt) vit le jour, et le Vénérable Sumedho devint le supérieur du premier monastère de Thaïlande dirigé par et pour des moines de langue anglaise.
En 1977, Ajahn Chah quitta pour la première fois sa forêt. Il fut invité en Angleterre par l’ »English Saṅgha Trust », association dont le but était d’établir un Saṅgha bouddhiste local. Il emmena avec lui le Vénérable Sumedho et le Vénérable Khemadhammo, et, voyant l’intérêt sérieux suscité, les laissa à Londres au Hampstead Vihâra, avec deux autres disciples occidentaux voyageant alors en Europe.
Il revint en Angleterre en 1979, date à laquelle les moines quittèrent Londres pour mettre en place le monastère de Chithurst dans le Sussex. Il gagna ensuite les Etats-Unis et le Canada pour répondre à des invitations à enseigner.
A la suite de ce voyage, et de nouveau en 1981, Ajahn Chah passa sa retraite des pluies loin de Vat Pah Pong, sa santé s’altérant en raison du diabète. Sa maladie s’aggravant, il utilisait alors son propre corps comme enseignement, exemple vivant de la non-permanence de toutes choses. Il rappelait constamment la nécessité de trouver un véritable refuge en soi car il ne pourrait plus enseigner encore très longtemps.
Avant la fin de la retraite des pluies de 1981 il fut transporté à l’hôpital pour une intervention chirurgicale qui n’améliora pas la situation. Dans les quelques mois qui suivirent il perdit l’usage de la parole, et peu à peu le contrôle de ses membres jusqu’à ce qu’il soit pratiquement paralysé et cloué au lit. Par la suite, il fut entouré et soigné par des disciples dévoués, reconnaissants de l’opportunité offerte de servir le Maître qui avait si patiemment et avec tant de bienveillance montré la Voie à un si grand nombre de personnes.
Ajahn Chah est mort à Vat Pah Pong le 16 janvier 1992.
De très nombreux disciples d’Ajahn Chah résident à travers le monde. Le noyau étant constitué par le monastère de Chithurst et le centre d’Amarāvatī, tous deux en Angleterre, ce dernier ouvert en 1985, sous le direction du Vénérable Sumedho. D’autres monastères ont été par la suite créés en Australie, Nouvelle-Zélande, Italie, États-Unis et Suisse. Ils accueillent pour des enseignements et des retraites nombre de laïcs.
Ajahn Chah est venu en France en 1977, pour l’officialisation du centre Bodhinyânârama à Tournon sur Rhône, mais il existe encore peu d’intérêt pour la tradition de la forêt dans notre pays.
M. H. Dufour
Ajahn Chah – Une courte biographie –
par Michel Henri Dufour
Le Vénérable Ajahn Chah, est né le 7 juin 1918 dans un petit village près d’Ubon Rajathani, au Nord-Est de la Thaïlande. Après sa scolarité primaire il passa trois ans comme novice avant de retourner à la vie laïque pour aider ses parents à la ferme. A vingt ans il décida de reprendre la vie monastique et le 26 avril 1939 reçut l’ordination monastique supérieure, upasampadā. Sa vie monastique au début a suivi le cursus traditionnel : étude des Enseignements bouddhiques et de la langue pāli. Au cours de sa cinquième année monastique son père tomba gravement malade et mourut, brusque rappel de la précarité de l’existence humaine. Ceci le fit profondément réfléchir au but réel de la vie, car bien qu’il eût étudié abondamment et acquis la maîtrise du pāli il ne s’en trouvait pas moins éloigné de la compréhension personnelle de la cessation de la souffrance.
Un sentiment d’insatisfaction s’installa, il abandonna ses études en 1946 et partit en pèlerinage comme moine errant. Il gagna à pied le centre de la Thaïlande, dormant dans les forêts et collectant sa nourriture dans les villages sur son chemin, et s’installa dans un monastère où le vinaya était soigneusement étudié et pratiqué. C’est à cette époque qu’on lui parla d’Ajahn Mun Buridatto, un Maître de méditation hautement respecté. Désireux de rencontrer un tel Maître accompli, Ajahn Chah se mit en route à pied pour le Nord -Est de la Thaïlande afin de le rencontrer.
A cette époque Ajahn Chah se débattait avec un problème crucial. Il avait étudié les Enseignements concernant l’éthique, la méditation et la sagesse, que les textes traditionnels présentaient de façon détaillée et raffinée, mais il ne voyait pas comment les mettre en pratique. Ajahn Mun lui déclara que, malgré le caractère extensif des Enseignements, leur essence était très simple. Avec l’établissement de l’attention il est possible de voir que tout est issu de ce que les Maîtres de Forêt nomment « mental-coeur » ; c’est là-même que se trouve le véritable chemin de la pratique. Cet enseignement succinct et direct fut une révélation pour lui et transforma son approche de la pratique. La Voie était désormais claire.
Pendant les sept années suivantes Ajahn Chah pratiqua selon le style de l’austère Tradition de forêt : vêtu de robes confectionnées dans des tissus rejetés et n’en possédant que trois, ne se nourrissant que de ce qui est offert, visitant sans omission toutes les maisons même celles des plus pauvres, ne mangeant qu’une seule fois par jour, mélangeant dans le bol toute la nourriture offerte, vivant sous un arbre sans l’abri d’un toit, selon les trois postures (marche, debout, assis), sans jamais s’allonger ; telles étaient quelques-unes des règles qu’il s’imposa, se déplaçant à travers la campagne à la recherche d’endroits isolés et calmes, propices au développement de la méditation. Il vécut dans la jungle en des lieux infestés de tigres et de cobras, utilisant les réflexions sur la mort pour pénétrer le sens réel de la vie. À une occasion il pratiqua dans un champ de crémation pour défier et en définitive vaincre sa peur de la mort.
À ce moment, transi et transpercé par la pluie de mousson, il vit en face la profonde détresse et la solitude du moine errant.
En 1954, après des années d’errance, il fut invité à revenir dans son village natal. Il s’installa dans les environs, au cour d’une forêt nommée Pah Pong, infestée de malaria et, d’après le villageois, hantée. Malgré les épreuves dues à la fièvre, l’abri précaire et la nourriture frugale, les disciples venaient le rejoindre en nombre croissant. Le monastère connu actuellement sous le nom de Vat Pah Pong débuta ainsi et petit ) à petit d’autres branches furent établies.
En 1967, un moine américain vint résider à Vat Pah Pong. Le Vénérable Sumedho, nouvellement ordonné, venait juste de passer sa première vassa (retraite de la saison des pluies) pratiquant intensément la méditation dans un monastère près de la frontière laotienne. Bien que ses efforts aient porté quelques fruits, le Vénérable Sumedho comprit qu’il avait besoin d’un Maître pouvant lui enseigner tous les aspects de la vie monastique. Or il advint qu’un des moines d’Ajahn Chah, qui parlait un peu l’anglais, visita le monastère où résidait le Vénérable Sumedho. En entendant parler d’Ajahn Chah il demanda de quitter son précepteur et accompagna le moine de retour à Vat Pah Pong.
Ajahn Chah accepta sans réserves le nouveau disciple mais insista sur le fait qu’il ne recevrait aucun traitement de faveur en raison de sa qualité d’Occidental. Il devrait manger la même nourriture simple et pratiquer de la même manière que tout autre moine de Vat Pah Pong.
La formation était rude et rébarbative. Ajahn Chah poussait souvent les moines jusqu’à leurs limites, pour tester leur endurance afin qu’ils soient en mesure de développer la patience et la détermination. Parfois il mettait en place des projets de travaux de longue durée, apparemment sans objet, pour frustrer leur attachement à la tranquillité. Constamment, il insistait sur la nécessité de s’abandonner à la nature des choses telles qu’elles sont et l’accent était mis sur une stricte observance du Vinaya.
Au fur et à mesure d’autres Occidentaux vinrent à Vat Pah Pong. A cette époque le Vénérable Sumedho était un bhikkhu de cinq « vassa » (cinq années d’ordination) et Ajahn Chah le considérait apte à enseigner, certains des nouveaux moines ayant également décidé de demeurer là pour leur formation.
Pendant la saison chaude de 1975, le Vénérable Sumedho et un groupe de bhikkhu passèrent quelques temps dans la forêt non loin de Vat Pah Pong. Les villageois du lieu leur demandèrent de rester et Ajahn Chah donna son accord. C’est ainsi que Vat Pah Nanachat (le monastère international de forêt) vit le jour, et le Vénérable Sumedho devint le supérieur du premier monastère de Thaïlande dirigé par et pour des moines de langue anglaise.
En 1977, Ajahn Chah quitta pour la première fois sa forêt. Il fut invité en Angleterre par l’ »English Saṅgha Trust », association dont le but était d’établir un Saṅgha bouddhiste local. Il emmena avec lui le Vénérable Sumedho et le Vénérable Khemadhammo, et, voyant l’intérêt sérieux suscité, les laissa à Londres au Hampstead Vihâra, avec deux autres disciples occidentaux voyageant alors en Europe.
Il revint en Angleterre en 1979, date à laquelle les moines quittèrent Londres pour mettre en place le monastère de Chithurst dans le Sussex. Il gagna ensuite les Etats-Unis et le Canada pour répondre à des invitations à enseigner.
A la suite de ce voyage, et de nouveau en 1981, Ajahn Chah passa sa retraite des pluies loin de Vat Pah Pong, sa santé s’altérant en raison du diabète. Sa maladie s’aggravant, il utilisait alors son propre corps comme enseignement, exemple vivant de la non-permanence de toutes choses. Il rappelait constamment la nécessité de trouver un véritable refuge en soi car il ne pourrait plus enseigner encore très longtemps.
Avant la fin de la retraite des pluies de 1981 il fut transporté à l’hôpital pour une intervention chirurgicale qui n’améliora pas la situation. Dans les quelques mois qui suivirent il perdit l’usage de la parole, et peu à peu le contrôle de ses membres jusqu’à ce qu’il soit pratiquement paralysé et cloué au lit. Par la suite, il fut entouré et soigné par des disciples dévoués, reconnaissants de l’opportunité offerte de servir le Maître qui avait si patiemment et avec tant de bienveillance montré la Voie à un si grand nombre de personnes.
Ajahn Chah est mort à Vat Pah Pong le 16 janvier 1992.
De très nombreux disciples d’Ajahn Chah résident à travers le monde. Le noyau étant constitué par le monastère de Chithurst et le centre d’Amarāvatī, tous deux en Angleterre, ce dernier ouvert en 1985, sous le direction du Vénérable Sumedho. D’autres monastères ont été par la suite créés en Australie, Nouvelle-Zélande, Italie, États-Unis et Suisse. Ils accueillent pour des enseignements et des retraites nombre de laïcs.
Ajahn Chah est venu en France en 1977, pour l’officialisation du centre Bodhinyânârama à Tournon sur Rhône, mais il existe encore peu d’intérêt pour la tradition de la forêt dans notre pays.
M. H. Dufour